Est-ce que le photomontage de juifs en vêtements noirs prêts à se jeter sur un bébé au moyen de crocs ensanglantés, bardé de la formule « Israël Assassin », posté par Nordine Gasmi le 19 octobre 2023 sur Facebook, est antisémite ? Le tribunal correctionnel de Lyon avait répondu favorablement à cette question en condamnant, le 21 mai 2024, celui qui est aussi conseiller municipal d’opposition (gauche) à Vaulx-en-Velin, à six mois d’emprisonnement avec sursis et à trois ans d’inéligibilité pour « provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ».
« Quand on vise les extrémistes, on ne vise pas l’ensemble de la population juive ! » « Je suis parfaitement innocent », certifie le père de cinq enfants à la barre, dans une salle d’audience emplie de ses soutiens. Le débat est ensuite celui des juristes. « Quand on vise les extrémistes, on ne vise pas l’ensemble de la population juive ! », expose Me Étienne Tête, l’avocat de Nordine Gasmi, pointant que les hommes du photomontage relayé sont des « orthodoxes extrémistes » dont certains « crachent sur les chrétiens » ou « se réjouissent du massacre d’enfants palestiniens », coupures de presse à l’appui.
L’avocat général ne sait pas si ce sont ou non « des rabbins », ce qui avait été reproché initialement, mais relève que Nordine Gasmi n’a pas « choisi de représenter des politiciens israéliens », si son but était bien de contester la politique menée par Israël comme il l’assure.
Vampires
Que dire des crocs de vampires ? « Une allégation antisémite répandue selon laquelle les juifs enlèveraient et assassineraient des enfants à des fins rituelles afin d’utiliser leur sang pour la confection du pain azyme », avait jugé le tribunal, y voyant une « provocation à la haine » des juifs.
« Représenter des juifs insensibles à la douleur des enfants est antisémite », abonde jeudi Me Alexis Bativot, l’avocat du Crif, quand Me Xavier Muller, celui de la Licra, considère que « M. Gasmi, homme intelligent et éduqué, connaissait très bien les représentations ancestrales du meurtre rituel ». Mais encore faut-il le prouver.
« Dans les rapports officiels de l’État – 300 pages – sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et dans les six spots télé poursuivant le même but, il n’y a rien sur cette représentation de vampires ! », conteste Me Tête, avant de citer « une seule fiche Wikipedia sur le sujet sur 2,5 millions de pages ». Et puis, soutient-il, « la publication en mode story et non sur le mur Facebook n’a pu dépasser 24 heures ». « Si on veut inciter à la haine raciale, on le laisse un grand moment », table Me Tête, quand Me Bativot voit au caractère éphémère de la publication « la preuve de la connaissance » de son caractère antisémite dans une période où les actes antisémites explosent en France.
L’avocat général réclame la condamnation de Nordine Gasmi
« Toute la vie de mon client est pour le dialogue entre les peuples », résume Étienne Tête, soulignant que, le 11 octobre 2023, son client avait relayé un texte sur les réseaux sociaux dénonçant comme « terroristes » les attaques lancées par le Hamas cinq jours plus tôt, tout en les condamnant.
L’avocat général réclame la condamnation de Nordine Gasmi, en requérant les mêmes peines que celles prononcées en première instance. Le Crif demande un euro de dommages-intérêts ainsi que le remboursement de ses honoraires d’avocat (2 500 €), la Licra, 2 500 € de dommages-intérêts et la même somme pour ses frais de justice. L’intéressé, professeur de sciences dans un lycée de Villeurbanne — actuellement suspendu de l’Éducation nationale et à mi-traitement — avait également été condamné à indemniser le Crif et la Licra. Nordine Gasmi (54 ans), ayant fait appel du jugement, l’affaire était à nouveau examinée jeudi après-midi.
« Pour régler des problèmes politiques »
Et si l’affaire était politique ? C’est ce que suggère Étienne Tête, ancien élu écologiste devenu avocat, en faisant référence à la peine d’inéligibilité requise par le parquet. « Nordine Gasmi ne peut pas être taxé d’antisémitisme pour régler des problèmes politiques, en lui retirant le droit à la parole au sein du conseil municipal », accuse le conseil, alors que le signalement de la publication controversée émanant de la préfecture avait été traité par le « parquet de Lyon avec une grande célérité », celle qu’on « aimerait voir dans bien d’autres dossiers ».
Alors, antisémite ou pas, le photomontage posté « un jour d’émotion » selon Me Tête, après l’annonce de morts d’enfants à Gaza ? Réponse le 17 octobre prochain.